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Pourquoi les consultations externes sont un facteur de déficit hospitalier

Pourquoi les consultations externes sont un facteur de déficit hospitalier

 
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Grand public et décideurs hospitaliers ne s’en rendent pas toujours compte, mais une part importante et croissante des consultations externes est réalisée au sein même des établissements publics ou à but non lucratif. Ainsi, en 2016[1], ce ne sont pas moins de 34,9 millions de consultations qui ont été faites par des médecins hospitaliers, auxquelles s’ajoutent des actes techniques externes (près de 26 millions) produits par ces mêmes professionnels. Les professionnels soignants non médicaux apportent aussi leur contribution à cette activité ambulatoire au sens le plus premier du terme, avec, par exemple, 5,8 millions de consultations et d’actes réalisées par des sages-femmes en milieu hospitalier public en 2016, et 10,1 millions produits par d’autres profils soignants.
Ces chiffres, issus de la Statistique Annuelle des Etablissements (SAE), peuvent finalement se résumer en deux temps : d’abord, près d’une consultation médicale sur 10 enregistrée en France a été réalisée dans un établissement public ou assimilé. Par ailleurs, avec 76,6 millions de consultations et d’actes externes en 2016, ce sont finalement et en moyenne journalière (ouvrable) 306 000 patients qui ont été pris en charge dans un hôpital ou un établissement à but non lucratif, pour bénéficier d’une consultation ou d’un acte externe. Au quotidien, l’équivalent d’une ville comme Nantes, donc…
 
Cette introduction très chiffrée se veut percutante car le thème de l’activité externe hospitalière fait partie de nos sujets d’études, de réflexion et d’investigation depuis de nombreuses années. En premier lieu, parce que la notion « marketisée » de « virage ambulatoire », de façon consciente ou non, fait écho à ces transformations dans la prise en charge des patients : pathologies qui se chronicisent, diminution – expliquée, légitime et irréversible – des durées d’hospitalisation, la consultation externe représente plus que jamais un moment plein et entier dans le parcours de soin et de suivi du patient. Les prises en charge (et c’est une évidence pourtant pas si simple à organiser), voient l’intervention ponctuelle de professionnels, aux profils experts et spécialisés, tout autant que le recours à des plateaux techniques toujours plus pointus (en imagerie, en explorations fonctionnelles etc...), mais pour lesquelles le patient n’a pas besoin d’être hospitalisé et qui peuvent être conduites en quelques heures.
 
Le développement, la complexification et la multiplication des activités externes nous parait inéluctable : tant les statistiques publiées par l’Assurance-Maladie (qui rembourse au tarif conventionnel ces actes aux établissements qui les produisent) que par les établissements eux-mêmes, presqu’en parallèle des passages enregistrés dans les services d’urgence, les consultations hospitalières suivent des courbes ascendantes, particulièrement sur cette dernière décennie.
 
Pourtant, voire paradoxalement, les consultations et actes externes expliquent une partie importante des difficultés économiques des établissements publics, alors même que ces derniers ne les jugent pas comme tels (nous reviendrons plus avant et de façon chiffré sur « la vitrine », terme souvent évoqué par les responsables hospitaliers lorsqu’on parle des consultations externes).
L’objet de ce post est d’expliquer, de façon analytique, les raisons de la contribution majeure des consultations externes au déficit comptable des hôpitaux et établissements privés à but non lucratif, du fait d’un coût largement supérieur au tarif, pour une prise de conscience, sans jugement ni critique, préliminaire indispensable à toute réflexion et voie d’amélioration.
 
 

Quelques rappels méthodologiques sur le calcul des coûts en général et des retraitements comptables hospitaliers en particulier

 
Depuis la fin des années 1990, les établissements publics et privés à but non lucratif français doivent transmettre annuellement des données de comptabilité analytique. Ce dispositif, appelé « Retraitements Comptables » ou « RTC » est très normé est encadré par des guides méthodologiques et des outils de contrôles et de validation.
 
 
Outre les utilisations internes et externes (dans le cadre des relations entre établissements et tutelles), les données consolidées, avec un niveau de détail cependant possible, sont mises à disposition librement sur le site de l’Agence Technique de l’Information sur l’Hospitalisation (ATIH). Le cadre, revu et explicité par le Ministère de la Santé en 2008, rappelle que [1]  :
 
 
« Le retraitement comptable (RTC) est un outil de comptabilité analytique renseigné annuellement par les établissements publics et privés à but non lucratif, financés à l’activité ou par dotation.
 
Il couvre l’ensemble des soins hospitaliers : médecine, chirurgie, obstétrique (MCO), soins de suite et de réadaptation (SSR), hospitalisation à domicile (HAD), psychiatrie (PSY).
La méthodologie de recueil est définie dans le cadre d’un groupe de travail composé de représentants des ARS, des établissements de santé et de la DGOS. Toutes les évolutions sont validées en comité technique et COPIL ENC-RTC.
 
A l’issue de la phase de recueil, les données validées par les ARS sont agrégées au niveau national pour construire un référentiel de coûts des unités d’oeuvre (UO). Cette restitution de ScanSanté permet :
 
- de connaître le coût moyen d’une unité d’œuvre pour les établissements ayant certaines caractéristiques (catégorie, taille, type d’activité, équipements), sa décomposition par type de charges, le nombre d’unités d’œuvre produites par effectif temps plein rémunéré (ETPR),
- de positionner les coûts d’un établissement ou d’un panier d’établissements par rapport à un coût de référence et, en cas d’écart, d’expliquer quel poste de coût en est la cause. »
 
 
Ce dispositif, dont la réalisation en interne s’avère souvent délicate, voire fastidieuse, mais pourtant stratégique, présente de nombreux intérêts. Pour apprécier cela, il nous faut éclaircir son déroulement et ses modalités. Ainsi, partant des données validées des comptes financiers annuels, l’idée est de répartir l’ensemble des charges d’exploitation entre les principales activités produites par chaque établissement. Le RTC permet ainsi de calculer, de façon graduée et précise, le coût complet d’activités que nous qualifions volontiers de « cœur de métier ». Il s’agit principalement des secteurs d’hospitalisations (court séjour MCO, SSR, psychiatrie), des consultations et actes externes, de missions spécifiques ou d’intérêt général. Dans la terminologie du RTC, ces services sont appelés « Fonctions Cliniques Principales / Définitives ».
 
 
D’un point de vue conceptuel, les Retraitements Comptables reposent sur des choix bien clairs : il s’agit de calculer in fine le coût complet des objets de coût « Fonctions cliniques principales », en distinguant les charges directes et les charges indirectes, à partir des données réelles historiques (on travaille en général sur l’exercice N-1) contenues dans les systèmes d’information des établissements publics.
 
Ainsi, ces activités se voient affecter :
• la totalité de leurs charges directes (personnel, dépenses médicales, ...)
• une partie des charges des services médico-techniques et logistiques (générale, médicales et charges de structure). Les unités d’œuvre ou clés de ventilation utilisées pour répartir ces charges entre les activités cliniques sont définies dans le guide méthodologique.
 
 

120 €, coût moyen unitaire d’une consultation hospitalière en 2015

 
En 2015, 1 230 établissements publics et assimilés ont vu leurs retraitements comptables validés et consolidés par l’ATIH. Parmi eux, 506 ont « correctement » évalué (c’est-à-dire dans le respect du guide méthodologique de comptabilité analytique et après contrôles) le coût de leurs consultations et actes externes.
 
La totalité des résultats consolidés, puis détaillés, avec les notions de moyenne, médiane, 1er et 3ème  quartiles, sont entièrement lisibles sur ScanSanté[1].
 
 
Ainsi, le coût complet moyen sur cet ensemble (et nous ne sommes pas en train de dire qu’il est « trop » important, ne jugeant pas du contenu des consultations et de la façon dont elles sont réalisées et adoptant une posture de « simple » constat) s’établit à 120,28 €.
 
 
 
 
Nous avons retravaillé ce tableau important, pour proposer une présentation plus analytique et descriptive :
 
 
Ainsi, les charges directement affectables aux consultations et actes externes représentent moins d’un tiers des dépenses. Les rémunérations directes des médecins (14%, soit 17 €), et des professionnels non médicaux (14 %, soit 17 € également) expliquent l’essentiel de ces charges. Les consultations et actes externes nécessitent peu de consommables ou médicaments (2 %, soit 2 € par acte). On notera au passage que le coût direct de près de 35 € est donc déjà supérieur au tarif conventionnel le plus souvent applicable en 2015 (23 € par consultation étant un tarif souvent facturé par les établissements).
 
L’approche des charges indirectes permet de comprendre et de percevoir l’impact du lieu même et des modalités par lesquelles sont produits ces actes et consultations hospitaliers.
Ainsi, rappelant que l’ensemble des dépenses doivent être imputées sur toutes les activités, les consultations externes se voient affecter une partie de charges indirectes, telles que le recours à des plateaux techniques pour la réalisation d’actes complémentaires (type laboratoire ou imagerie, pour un coût moyen de 56 € par acte ou consultation, soit 47%). Dans ce cas précis, des recettes complémentaires peuvent être facturées, aux tarifs conventionnels, en addition du tarif de l’acte ou de la consultation.
Ces activités externes bénéficient, finalement et par ailleurs, de l’ensemble de la structure hospitalière de l’établissement, et c’est pourquoi des charges de logistique médicale (services de pharmacie, d’hygiène, biomédical…, pour 0,7 € en moyenne par consultation, soit 1 %), de logistique et gestion générale (personnels et fournitures des bureaux des entrées ou des services administratifs dédiés aux patients; prestations de nettoyage et d’entretien des locaux des consultations ; applications, matériels et maintenance informatique consacrés aux externes ; quote-part des services administratifs et RH pour la gestion des personnels, matériels et projets des externes… pour 23 € en moyenne, soit 19 %).
Enfin, des charges de structure (comme des locations immobilières, des réparations sur biens immobiliers, des taxes foncières et autres impôts…) complètent ce tableau, et représentent près de 5 € par consultation, soit 4% du coût total.
 
Au final, donc, l’ensemble de ces charges indirectes concentrent 71 % (plus de 85 €) du coût moyen d’un acte ou d’une consultation réalisée en établissement hospitalier.
 
 

Des recettes très largement inférieures

 Les Retraitements Comptables ne font pas apparaître les recettes spécifiquement rattachables à l’activité externe. Cependant, nous pouvons essayer de les approcher en supposant, par exemple, qu’en moyenne, chaque consultation ou acte permet la facturation du tarif conventionnel de 23 € (tarif en vigueur en 2015).
 
Nous proposons de neutraliser les éventuelles autres rétributions, qui concernent en particulier l’imagerie, le laboratoire et les explorations fonctionnelles, en proposant l’équivalent des coûts relevés par l’ATIH sur ces trois types de charges. Pour 2015, cette somme s’établit à 29,93 €, que nous arrondirons à 30 €.
 
Au total, nous proposons de convenir d’une recette moyenne de 53 € par consultation et acte produit en établissement hospitalier pour des patients externes.
Cette estimation nous parait tout à fait plausible, la majorité de nos dernières missions sur ces thématiques mettant en évidence des recettes moyennes externes comprises entre 45 € et 60 € par consultation et acte.
 
Les comptes peuvent à présent être rapidement faits : entre 120 € de coût moyen et 53 € de recettes estimées, la perte moyenne par consultation ou acte externe peut être évaluée à - 67 €, soit plus du double de leur financement.
A nouveau et sans jugement, cet écart largement négatif est facilement compréhensible lorsque l’on considère que le tarif conventionnel, tout à fait comparable aux facturations pratiquées en cabinets de ville, couvre, finalement, la masse salariale des médecins pratiquant ces actes (pour rappel, 17 € en moyenne par consultation), et une partie de la masse salariale du personnel non médical travaillant directement dans les services externes (pour rappel, 17 € également). Par notre approche, qui neutralise le coût de l’imagerie, du laboratoire et des explorations fonctionnelles, toutes les autres charges ne sont donc aucunement financées par les recettes directes externes.
 
Cette situation pourrait ne pas être problématique si le volume des actes restait contenu, et que les autres financements (des séjours et des missions d’intérêt général) dégageaient une marge suffisante pour couvrir ce déficit. Comme nous l’avons évoqué en introduction, ce sont près de 77  millions d’actes et consultations qui ont été enregistrés par les établissements publics de santé en 2015.
 
Nous n’appliquerons pas « mécaniquement » le déficit moyen que nous venons d’expliquer. Nous préférons évoquer quelques cas particuliers que nous avons accompagnés récemment lors de la réalisation de leurs retraitements comptables. Ainsi, un centre hospitalier de grande taille a enregistré des recettes annuelles de 260 M€ et un excédent de 10 M€. Lors de l’élaboration de sa comptabilité analytique hospitalière, le coût total de ses activités externes MCO a été évalué à 22 M€, pour environ 122 000 actes et consultations réalisées. Le coût moyen unitaire s’est donc établi à 181 €. Du point de vue des recettes, un peu moins de 10 M€ ont été perçus (ticket modérateur compris), soit un « déficit » de - 12 M€, et 98 € par acte. On peut donc être globalement à l’équilibre, et cependant enregistrer un écart négatif important sur les activités externes. Cet exemple est illustratif des nombreuses analyses que nous menons depuis plus de 10 ans sur ce sujet.
 
 
 

Combien pour cette "vitrine" ?

Après les constats, viennent les réflexions et les pistes d’amélioration. Comme je l’indiquai plus avant, les médecins et décideurs hospitaliers considèrent souvent les consultations comme une porte d’entrée de l’hôpital. Nous proposons d’approcher la quantité de séjours qui pourraient être consécutifs à une visite préalable auprès d’un médecin hospitalier.
 
Pour cela, nous allons à nouveau nous servir de la Statistique Annuelle des Etablissements (SAE). Notre idée n’est pas de mesurer le flux précis des patients externes qui sont ensuite hospitalisés, mais d’approcher, en grandes masses, les volumes des différents types d’activité hospitalière.
 
Prenons par exemple les résultats validés de l’année 2016, pour la totalité des établissements publics et privés à but non lucratif, périmètre de départ de notre étude.
Nous proposons de rapprocher le volume des externes du nombre d’hospitalisations en court séjour, toutes disciplines confondues. Pour les premiers, ce sont très exactement 76 676 214 consultations et actes qui ont été déclarés par la totalité des établissements publics. Dans le même temps, 8 598 902 séjours ont été enregistrés en hospitalisation complète MCO et 3 131 816 en hospitalisation de jour (« ambulatoire), soit un total de 11 730 718 séjours. Nous estimons que les séances (au nombre de 8 166 141) sont à exclure de notre périmètre, car les patients admis en dialyse ou en radiothérapie ne nous semblent pas venir par les services externes a priori.
Ces deux premiers chiffres donnent déjà un premier aperçu : il est de 1 à presque 7. Dit en d’autres termes, les établissements publics et assimilés ont produit 6,5 consultations quand ils réalisaient un séjour en hospitalisation complète ou de jour.
 
Nous allons pourtant encore venir augmenter ce rapport. En effet, parmi les 11,7 millions hospitalisations recensées, la SAE montre qu’une partie est en fait issue des urgences. Ainsi, en 2016, 3 390 383 personnes ont été hospitalisées dans l’établissement suite à un passage aux urgences. Puisque nous parlions de « vitrine », nous proposons de considérer qu’elles n’ont pas bénéficié d’une consultation externe au préalable. Le nombre de consultations est donc à comparer non pas 11,7 millions de séjours, mais à 8 340 335 hospitalisations non entrées par les urgences.
Le rapport passe donc de 1 à un peu plus de 9. Exprimé explicitement, les établissements ont donc produits plus de 9 consultations lorsqu’ils accueillaient 1 séjour.
 
Un dernier chiffre : sachant que le coût de chaque consultation est en moyenne de 120 €, on pourrait presque dire qu’il faut mobiliser 1 080 € de charges consacrées aux externes pour réaliser un séjour. Or, notre pratique nous montre souvent que la recette moyenne par séjour se situe entre 1 300 et 1 600 €. Les consultations sont effectivement une porte d’entrée, une vitrine donc, mais une vitrine dont le coût est à discuter au regard des recettes ultérieures en hospitalisation.
 
 
Ce post s’est montré très chiffré, voire un peu froid et technique. Nous avons simplement souhaité attirer l’attention sur ce phénomène économique aujourd’hui péjoratif pour les établissements publics et privés à but non lucratif. La prise de conscience est un premier pas de compréhension et d’amélioration. Car, comme le soulignait très bien cet été Rafael Bengoa, directeur des Systèmes de Santé pour l’OMS – que j’ai eu l’honneur de rencontrer lors de rencontres fort marquantes autour des systèmes de santé aquitains et basques : « C’est simple : décideurs politiques, vous ne pouvez pas améliorer l'expérience des soins, la santé de la population et réduire le coût par habitant sans de bons soins primaires." [1]
 
 
 

Abréviations

ATIH     Agence Technique de l’Information Hospitalière
CRP      Compte de Résultat Principal
DIM      Département d’Information Médicale
DMS     Durée Moyenne de Séjour
ETP      Equivalent Temps Plein
HAD     Hospitalisation A Domicile       
MCO     Médecine Chirurgie Obstétrique
MIG      Mission d’Intérêt Général
RTC      Retraitements Comptables
SA        Section d’Analyse
SSR      Soins de Suite et de Réadaptation
 
 
 

Documentation

Ministère des Affaires sociales et de la Santé, « Comptabilité analytique hospitalière »  [+]
Agence Technique de l’Information Hospitalière, « Information sur les coûts »  [+]
 
 
 
 
Posté le 31 octobre 2017 par Nathalie L'Hostis
 
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