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Les urgences françaises font-elles de la « bobologie » ? Une analyse des passages aux urgences et des hospitalisations qui s’en suivent

Une liste des abréviations utilisées est fournie en fin de pages.
 
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La période estivale est souvent un moment de tensions pour les services d’urgences des établissements de santé français. La gageure d’un afflux plus important de population, en particulier dans les zones touristiques, peut se cumuler avec des conditions météorologiques possiblement délétères pour les plus fragiles, sensibles aux situations de canicule et à l’isolement consécutif aux congés des uns et des autres.
 
Surtout, la continuité et la permanence des soins aux urgences se complexifient immanquablement en été, en raison de la présence pas toujours facile à organiser des professionnels urgentistes. La parution ce matin-même - jour de rédaction du présent post - d’un article de presse alarmant de la Dépêche relatif aux urgences du Centre Hospitalier de Carcassonne (mais cela aurait pu être dans n’importe quelle autre structure) résume bien ces tensions : « La décision a été prise, vendredi, de fermer à titre exceptionnel, les antennes SMUR de Castelanudary et de Limoux. […]. Le directeur du centre hospitalier de Carcassonne, doit donc faire avec mais surtout sans le nombre de praticiens urgentistes. Une denrée rare et chère. » [1]
 
L’objet de notre propos n’est pas de placer l’analyse de ces difficultés du point de vue des ressources à mettre à disposition aux urgences (les effectifs médicaux en sont l’une des composantes importantes), mais plutôt de regarder du côté des activités, c’est-à-dire du volume des passages aux urgences. Car, de facto, l’organisation des services d’urgences étant normée et encadrée par la réglementation, les ressources à mettre à disposition sont calculées en fonction des paliers d’activité. En d’autres termes : comment les tensions organisationnelles sur les urgences sont impactées par la croissance du nombre de ces dernières ? Au-delà de cet aspect quantitatif, les passages aux urgences sont-ils aussi en train de changer, du point de vue qualitatif ? Ainsi, se traduisent-ils par des besoins plus lourds, qui pourraient donc solliciter plus de moyens - toutes choses égales par ailleurs - ou au contraire, sont-ils la conséquence des changements dans l’offre des soins de ville, que d’aucuns pourraient désigner de « bobologie » : n’ayant pas prestement de rendez-vous avec un médecin généraliste, les patients se tourneraient facilement et volontiers vers les urgences.
 
Conjuguant notre grande connaissance des bases de données hospitalières – mesurer, c’est déjà piloter – et l’apport d’informations si possibles novatrices au débat, fondamental, de l’organisation des soins primaires et de leur aval, cet article propose de rappeler et de mettre en évidence, les dynamiques d’évolution des passages aux urgences.
Si la qualification de chacun d’entre eux, d’un point de vue médical ou social, n’est pas dans notre champ, nous allons faire part de ce qui ce passe à la suite de certains, en nous intéressant tout particulièrement aux hospitalisations qui peuvent en résulter. Ces cas particuliers nous paraissent, en effet, constituer une approche de la « lourdeur » de ces passages, et donc, de donner des pistes de réflexion, notamment en termes d’accueil et d’organisation.
 
Fruit de nombreuses analyses et de mises en pratique, nous avons choisi de recourir à la Statistique Annuelle des Etablissements (SAE).
 

 

Qu’est-ce que la SAE et quel est son intérêt ?

La Statistique Annuelle des Etablissements de santé français est une enquête exhaustive et obligatoire. Tous les établissements publics et privés de métropole et des DOM doivent y répondre. Elle recueille depuis plus de 20 ans les données des structures de santé.
Les informations raseemblées portent par exemple sur :
  • Les structures : maternités, services d’urgence, de réanimation, SSR etc…
  • Les capacités : taux d’occupation des lits, nombre de salles opératoires etc…
  • Les équipements : scanners, IRM, blocs opératoires et obstétricaux, plateaux techniques etc…
  • Les activités : nombre de journées d’hospitalisation, nombre de séances de radiothérapie, dialyse, accouchements etc…
  • Les personnels : équivalents temps plein salariés des établissements publics et privés, répartition des praticiens libéraux en privé etc…
Les informations sont collectées par la DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques), direction du Ministère de la Santé français.
 
L’enquête se déroule en deux temps :
1) Une phase de collecte (en général au 1er trimestre N sur les données de l’année N-1), sous forme de bordereaux remplis via une plateforme par les établissements eux-mêmes
2) Une phase de diffusion, (après contrôles et validation). Les données exhaustives sont accessibles gratuitement et ouvertes à tous en recourant à deux sites internet :
 
- soit www.sae-diffusion.sante.gouv.fr :  il contient les données des SAE 2015, 2014 et 2013)
- soit, pour les amateurs de SAS, CSV ou d’excel, le très utile et pertinent site de la DREES www.data.drees.sante.gouv.fr : ce dernier met ainsi à disposition toutes les SAE produites de 2000 à 2015
 
Utilisée par de nombreux services de l’Etat et plusieurs ministères (au premier desquels le Ministère de la Santé), la SAE a pour but de produire des indicateurs pour :
  • Le suivi des politiques nationales françaises (plan d’urgence, Alzheimer …) et régionales
  • L’alimentation de nombreux tableaux de bord et systèmes d’information (ScanSanté, Hospidiag, Scope Santé, DIAMANT …)
  • La prise en compte des données hospitalières pour la planification ou les politiques d’autres services publics (logements par exemple)
Son utilisation par les tutelles sanitaires de type ARS est croissante, comme le montre la campagne 2017 relative aux Retraitements Comptables (il s’agit de la comptabilité analytique obligatoire que doivent transmettre chaque année les établissements publics de santé, ainsi que les structures privées à but non lucratif). En effet, les données déclarées dans la SAE sont désormais systématiquement comparées à celles produites dans le cadre d’autres reportings, y compris financiers.
 
 

Notre démarche pour analyser les urgences et les hospitalisations consécutives à certains passages

D’un point de vue temporel, nous avons téléchargé l’ensemble des bordereaux de la SAE des exercices 2015, 2014 et 2013. Nous n’avons pas utilisé des données plus historiques car les déclarations relatives aux hospitalisations consécutives aux urgences n’étaient pas traitées de la même manière lors des exercices antérieurs.
 
Concernant le périmètre géographique et les établissements, nous avons choisi de consolider les chiffres sur l’ensemble de la France, DOM compris, et sur la totalité des structures, qu’ils s’agissent d’organisations publiques, privées à but lucratif ou non. Nos chiffres présentent donc la totalité des passages aux urgences en France métropolitaine et outre-mer, tous établissements confondus.
 
Nous avons recueillis les données « brutes » et n’avons procédé à aucun retraitement ou ajustement. Les chiffres présentés correspondent exactement à ce qui est contenu dans la base SAE. Nos extractions ont été réalisées les 25 et 26 juillet 2017.
 
Nous avons cherché à tester deux critères : la présence ou non d’une hospitalisation suite à un passage aux urgences, et la classe d’âge des patients. Sur ce point particulier, nous avons procédé ainsi : le questionnaire de collecte relatif aux données des urgences distingue les services d’accueil des urgences (SAU) adultes des SAU pédiatriques. Cette distinction a des fondements réglementaires et soumis à des autorisations strictes. La SAE demande cependant de renseigner le nombre de passages aux urgences adultes pour des patients de moins de 18 ans. En effet, toutes les structures d’urgences ne disposent pas de secteur pédiatrique, mais accueillent tous les patients, quel que soit leur âge. C’est pour cela que nous avons, selon les présentations, distinguer les classes d’âge, conformément à ce qu’il est demandé aux établissements, et selon les catégories suivantes :
  • Patients de plus de 80 ans (urgences adultes)
  • Patients de 18 à 80 ans (urgences adultes)
  • Patients de moins de 18 ans (urgences adultes)
  • Urgences pédiatriques
Pour résumer, voici l’ensemble des indicateurs que nous avons collectés et étudiés :
  • Nombre d'implantations de structures autorisées
  • Nombre d’équipes mobiles de gériatrie intervenant au service des urgences
  • Nombre total de passages aux urgences
  • Dont Nombre de passages hospitalisés (en MCO, SSR, psychiatrie, USLD, ou dans une autre entité juridique)
  • Nombre total de séjours en hospitalisation complète (MCO, SSR, psychiatrie, SSR, USLD)
  • Nombre de lits en Unité d’Hospitalisation de Courte Durée (UHCD)
  • Nombre de séjours en UHCD
  • Nombre de journées d’hospitalisation en UHCD
 
Tous nos traitements et présentations ont été réalisés sur Excel.
 
 

Un nombre de passages croissant, même si ceux suivis d’une hospitalisation stagnent

 
 
Premier chiffre à retenir : en 2015, le nombre total de passages dans un service d’urgences en France s’est élevé à plus de 20,3 millions.
 
Cela signifie que journalièrement, ceux sont plus 55 620 personnes qui se rendent dans un service d’urgences, soit 2 317 par heure et 77 par minute…
 
Activité soutenue, c’est aussi 7,1 % de plus que deux ans auparavant, puisqu’en 2013, ce chiffre était de 18,9 millions de passages.
 
 
 
 
 
Deuxième chiffre fort à mettre en évidence :
en 2015, sur ces plus de 20 millions de passages aux urgences, 19,5 % ont été consécutivement hospitalisés. Près d’une personne sur cinq, donc.
 
 
Si en regard, effectivement, plus de 80 % des patients sortent des urgences vers leur domicile ou leur lieu de résidence (notre question ne pose pas celle du temps d’attente ni de la durée de prise en charge, qui tous deux peuvent être importantes), ces hospitalisations post-urgences représentent pas moins que la bagatelle de 3,9 millions de séjours.
 
 
 
 
 
Cependant, ce nombre d’hospitalisations post-urgences est resté quasiment stable sur trois ans, enregistrant une très légère hausse de + 0,5 %. Nous en concluons que la croissance du nombre de passages aux urgences (+ 7,1 %) est donc le fait des prises en charges « ambulatoires » (+ 8,8 %).
 
 

 

Des besoins en lits en partie assurés par les UHCD

Pour « placer » 3,9 millions de séjours, si l’on fait une moyenne pour chaque jour, les services des urgences doivent « trouver » 18 825 lits pour hospitaliser leurs patients. Si ce volume est peu évocateur, il ne représente pas moins que l’équivalent des capacités en hospitalisation complète MCO des établissements publics et privés de toute la région Nouvelle-Aquitaine (établies à 19 529 en 2015).
 
La réponse à ces besoins sont en partie comblée par le recours aux lits installés dans les Unités d’Hospitalisation de Courte Durée (UHCD), au sein même des services d’urgences. Tant en secteur adulte qu’en zone pédiatrique, leur nombre va croissant sur la période. On compte ainsi, en 2015, 4 220 lits d’UHCD en secteur adulte ou général (soit 91 % du parc), et 413 en pédiatrie (soit 9 %), ce qui constitue un total de 4 633 lits. C’est plus qu’en 2013 où 4 443 lits au total étaient recensés (soit + 190 lits et + 4,3 %).
 
Malgré l’augmentation des capacités, le nombre de journées augmente plus fortement encore, ce qui aboutit à une hausse du taux d’occupation en secteur adultes. Le nombre important de séjours à 0 jour laisse à penser que ces unités, qui jouent un authentique rôle d’hospitalisation, ont peut-être aussi une fonction de surveillance intensive et/ou d’attente d’un transfert dans un autre secteur hospitalier, plus adapté aux besoins des patients.
 
 

Des degrés d’hospitalisation différents selon les âges, au maximum pour les personnes âgées

 
Au vu des tranches d’âge que nous avons retenues, il n’est pas étonnant de constater que 2 passages aux urgences sur 3 concernent des patients âgés de 18 à 80 ans.
La catégorie des moins de 18 ans (admis aux urgences adultes ou en secteur pédiatrique) concentre 26,8 % de l’activité, part plutôt stable sur les trois années que nous avons étudiées.
Les patients âgés de plus de 80 ans ont représenté, quant à eux, 8,9 % de la totalité des passages.
 
 
 
Si ce résultat reste minoritaire, il semble cependant croître modérément, mais assurément. Ces passages sont ainsi passés de 1,6 million en 2013 à 1,7 million en 2014 et 1,8 million en 2015, soit une hausse de + 9,8 % en trois ans.
 
Du point de vue des passages suivis d’une hospitalisation, la répartition s’avère cependant tout autre.
Ainsi, les patients de plus de 80 ans concentrent 22,8 % des séjours. Les petits patients sont eux, à l’opposé, moins hospitalisés puisque 14,5 % des hospitalisations post-urgences les concernent. Ce taux est d’ailleurs assez stable sur les trois années. La catégorie majoritaire des 18-80 ans a enregistré une part de 62,8 % des séjours post urgences.
 
 
 
Du point de vue des évolutions dans ce nombre d’urgences hospitalisées, la croissance la plus forte est constatée sur la population des personnes âgées. De 789 000 séjours en 2013, on est passé à près de 900 000 en 2015, soit une hausse de + 14 %, et + 110 000 séjours.
Une nouvelle fois, ramené à chaque journée calendaire, ce volume total de séjours équivaut à un besoin de placements de 2 464 patients chaque jour. Et il faudrait prendre aussi en compte la durée de séjour par la suite pour calibrer la totalité des besoins en lits…
 
 

Des taux  d’hospitalisation très différents selon les âges

Ces premiers chiffres ont déjà mis en évidence des caractéristiques de chaque population selon son âge. Qu’en est-il maintenant du taux d’hospitalisation par classe d’âge, la moyenne étant de 19,5% comme nous l’avons vu précédemment ?
 
 
Concernant les personnes âgées, dans près d’un cas sur deuxle passage aux urgences se poursuit par une hospitalisation.
 
Ce taux est donc très largement supérieur à la moyenne constatée sur l’ensemble des passages.
 
 
 
 
 
Les patients de moins de 18 ans reçus dans les services d’urgences générales sont, quant à eux, sensiblement moins hospitalisés puisque moins d’un passage sur 10 (9 % très exactement) donne lieu à un séjour.
 
Ce taux est stable sur les 3 derniers exercices.
 
 
 
 
Enfin, les patients pris en charge dans les services d’urgence pédiatrique sont hospitalisés avec un taux moyen de 13 %.
 
Tant en proportion qu’en volume, ces hospitalisations semblent marquer le pas et légèrement diminuer en 3 ans (- 12 558 séjours, soit – 3,9 %).
 
 
 
 

Un impact très important sur tous les services d’hospitalisation complète des établissements

Nous avons enfin souhaité connaître l’impact des hospitalisations consécutives aux urgences sur l’ensemble des activités d’hospitalisation des établissements. Nous avons estimé que les seuls secteurs impactés sont ceux en hospitalisation complète (les séjours consécutifs aux urgences ne sont pas, selon nous, accueillis en hospitalisation de jour ou dans des secteurs réalisant des séances ou de l’hospitalisation à temps partiel). En revanche, ces séjours peuvent, de notre point de vue, être transférés dans tous services de court séjour, en médecine, chirurgie, obstétrique, mais aussi dans d’autres disciplines comme la psychiatrie ou les unités de soins de longue. D’ailleurs, les questions posées par la SAE à ce sujet montrent bien des transferts sur ces secteurs.
 
Nous constatons alors le flux très important de séjours provenant des urgences, puisqu’on estime que plus d’un séjour d’hospitalisation complète sur 3 est consécutif à un passage aux urgences. Cette part est d’ailleurs en croissance sur la période, le nombre de séjours en hospitalisation diminuant (régulation par la tarification à l’activité et « virage ambulatoire » n’y sont sans doute pas étrangers…), alors que le nombre d’hospitalisations consécutives à un passage aux urgences est en légère augmentation.
 
 

 

En guise de conclusion

Les services d’urgences offrent une réponse indispensable tant à la médecine ambulatoire (dont les besoins s’avèrent en mutation), que pour le rôle qu’ils jouent dans la prise en charge hospitalière des patients.
 
A l’heure où les concepts de parcours et d’organisation des soins, tant au niveau primaire qu’hospitalier, sont particulièrement discutés, la question spécifique des personnes âgées est incontournable. Le profil des patients et de leurs besoins, la fréquence des hospitalisations suite à leurs passages, avec les difficultés de placements au nombre croissant, expliquent probablement une partie des tensions dans ces services.
 
Certaines réponses sont d’ailleurs d’ores et déjà apportées par les établissements. Ainsi, comme le souligne la SAE, le nombre d’équipes mobiles de gériatrie intervenant dans les services d’urgence est passé de 231 en 2013 à  251 en 2014, puis 275 en 2015.
 
 
 
Abréviations
DOM    Département d’Outre Mer
DREES Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques
ETP      Equivalent Temps Plein
IRM      Imagerie par Résonance Magnétique
MCO     Médecine Chirurgie Obstétrique
SAE      Statistique Annuelle des Etablissement de Santé
SAU      Service d’Accueil des Urgences
SMUR   Service Médical d’Urgence et de Réanimation
SSR      Soins de Suite et de Réadaptation
UHCD   Unité d’Hospitalisation de Courte Durée
USLD    Unité de Soins de Longue Durée
 
 
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Posté le 28 juillet 2017 par Nathalie L'Hostis. Copyright © Pilar 2017
 
 

[1] La Dépêche, B.H. : « Urgences : le directeur de l'hôpital tente de panser les plaies », publiée le 26 juillet 2017, http://www.ladepeche.fr/article/2017/07/26/2618295-urgences-directeur-hopital-tente-panser-plaies.html