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Comment fonctionne un contrôleur de gestion autiste (Pilar)

Comment fonctionne un contrôleur de gestion autiste

Cette présentation a été réalisée le 7 juin 2024 lors du Premier Colloque "Contrôle de gestion hospitalier" organisé par Pilar

 

Lorsque Maryse Condé écrit ‘Moi, Tituba sorcière noire de Salem’, elle fait le choix du récit biographique pour combattre l’oubli, mais aussi du choc.

Je ne connais pas d’autres romans qui commencent et cognent d’emblée aussi fort.

Les premières lignes sont les suivantes :

« Abena, ma mère, un marin anglais la viola sur le pont du Christ the King, un jour de 16** alors que le navire faisait voile vers la Barbade. C’est de cette agression que je suis née. De cet acte de haine et de mépris ».

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Comment introduire un sujet lorsque son origine même a suscité un immense choc ? Comme une image opportune, le roman de la grande autrice caribéenne m’est assez vite revenue en mémoire.

J’y reviendrais, sur mon fonctionnement cérébral un peu particulier. J’ai compris qu’il n’est pas courant que dans une tête, la mienne, les choses apparaissent spontanément comme des boîtes rangées qui s’ouvrent sans crier gare.

 

Alors voilà : le 2 janvier 2024, j’ai été officiellement diagnostiquée autiste. Moins de 48 heures après la demande réalisée par mon médecin, l’Assurance-Maladie validait la reconnaissance en affectation de longue durée (ALD) à 100 % pour ma prise en charge en tant qu’autiste. Je suis en cours d'évaluation pour une reconnaissance du statut de handicapée auprès de la MDPH du département des Landes.

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Mon coming out est en cours. A moi qui vous parle de ce pupitre expert, pour chacune et chacun qui me côtoie de près ou de loin, ma situation de personne handicapée, la réalité et la preuve de mon autisme ne sont pas visibles, voire même croyables.

 

Et pourtant…

 

D’aucuns parfois, le sourire humble et la sympathie sincère, lors de moments où l’on a envie d’être seul, vous disent que l’on est tous un peu autiste. Personnellement, je ne suis pas un peu hémiplégique. Je ne suis pas non plus un peu ou de temps en temps aveugle. Je n’oserai jamais dire que je suis de temps à autre schizophrène ou bipolaire.

Vous l’aurez compris : cette phrase m’agace car elle relève d’une sensible ignorance. Si l’on est tous un peu autiste, je le suis pour ma part à 100%, chaque jour que Dieu fait et depuis que je suis née. Ce n’est pas une maladie. C’est un handicap. On n’en guérit jamais.

 

Si j’ai finalement pris la décision de parler d’autisme, c’est parce qu’après ces mois de réflexion agitée, il est l’une des raisons pour lesquelles je suis contrôleur de gestion. J’affirme d’emblée que je ne suis qu’un cas particulier et qu’il ne saurait y avoir une corrélation ni même de causalité entre un métier et les spécificités d’une personne. Ce qui peut apporter de l’intérêt, ce n’est pas mon histoire, c’est la manière dont mon handicap me fait voir et vivre les choses et qui peut intéresser tout professionnel du pilotage.

Je répète ce mot de handicap. Parce que l’autisme en est un. C’est le plus invisible des handicaps invisibles.

C’est pourquoi, je ferai ma présentation en quatre points, pour aboutir à ce qui nous intéresse : comment fonctionne un contrôleur de gestion autiste.

Mon déroulé sera le suivant : qu’est-ce que l’autisme, mes principes de fonctionnement en tant que contrôleur de gestion autiste, les conséquences de ce fonctionnement dans un environnement professionnel, les recommandations pour les équipes et les responsables qui travaillent avec un ou une autiste.

 

1)   Qu’est-ce que l’autisme

 

1a. Du storytelling aux définitions

 

Depuis ma démarche et la pose du diagnostic, la majorité des personnes que je rencontre me pose, incrédules, cette question : mais qu’est-ce qui vous a poussé à penser que vous étiez autiste ?

Plusieurs moments ou recherches m’y ont conduit, d’autant que j’ai été la première surprise et dans le déni de ma propre situation.

C’est tout d’abord deux courts témoignages vus à la télévision, un soir au moment du dîner. Le 29 mars 2023 (je m’arrête un instant pour exposer l’une de mes autres caractéristiques : j’ai beaucoup de mémoire. Voire même énormément. Notamment quand il s’agit de chiffres, de sensations ou d’émotion), le 29 mars 2023, donc, j’écoute Lya Bavoil, championne du monde d’une discipline athlétique fondée sur la force et qui s’appelle le powerlifting. Elle est belle, forte, s’exprime très bien, sourit, répond. Ce n’est qu’à la sixième minute de l’interview qu’elle indique être autiste. Waouh… Elle répète plusieurs fois : « il y a une phrase qui m’agace, « t’as pas l’air autiste ». Elle évoque quelques points, l’obstination, l’investissement à 300%, les moments suicidaires. Ca me percute. J’y vois des points communs avec mon fonctionnement.

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Au printemps 2023, je commande l’ouvrage ‘Penser en images’ de Temple Grandin. Née en 1947, diagnostiquée autiste à l’âge de deux ans avec un profil lourd, elle est aujourd’hui multidiplômée (dont un doctorat de philosophie en zootechnie). Temple Grandin livre dans ce livre paru en 1995 une partie de son autobiographie et surtout la manière dont elle fonctionne. Chaque page que je tourne résonne : elle explique ainsi qu’elle pense en image plutôt qu’en mots. Elle compare le cheminement de sa pensée comme une série de diapositives ou de films mentaux, ce qui l’a beaucoup aidée à titre professionnel pour conceptualiser et construire des systèmes complexes pour l’élevage du bétail, sa spécialité. Elle revient, bien sûr, sur ses difficultés relationnelles qu’elle a traitées avec rationalité pour s’y adapter. Elle évoque régulièrement son hypersensorialité, notamment en termes de toucher. Elle décrit la « machine à serrer » (hug machine en anglais) pour laquelle elle explique que la contention douce et la pression sur le corps sont des moyens importants de calmer, de réduire l’anxiété et le stress, et de pallier à l’incapacité à être touchée ou prise dans les bras.

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Je n’y crois pas encore, mais je me retrouve beaucoup dans ce fonctionnement en foisonnantes images. Je suis incontestablement créative, extrêmement curieuse et je fais inlassablement et visuellement des liens entre les concepts, les choses, les flux.

Depuis toujours, depuis enfant, les images me viennent. Ce n’est pas intentionnel, mais n’est pas incompatible avec le choix d’activer, comme avec un programme informatique, cette application particulière pour m’aider à penser et réfléchir. Dans ce cas, les réflexions, les créations et les compréhensions sont encore plus puissantes.

Il suffit que vous formuliez une idée, un terme, une chanson, un souvenir et là, comme si je l’avais devant les yeux, je « vois » ce que vous dites. Ce n’est absolument pas ésotérique, new age ou perché. Je visualise ce que vous me dites, soit parce que j’ai un souvenir rangé dans ma grande mémoire qui s’y rattache, soit parce que ma tête va construire instantanément une représentation de vos mots et de ce que j’entends.

Bien sûr, ce n’est pas de la précision ni de la qualité d’une photographie. C’est comme un environnement complet, un décor, une représentation qui va se former instantanément dans mon esprit. En couleur, en logique, émotions et sensations incluses.

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La comptabilité analytique ou le fichier structure sont par exemple des moments où ce processus, sans que je n’y fasse rien, se met en route. Nous accompagnons depuis de nombreuses années des établissements pour leur retraitement comptable ou leur participation à l’ENC. Au moment du découpage analytique, en lisant la liste des UF sur un morne tableau Excel, je « vois » par exemple les laboratoires de biologie médicale d’un CHU, les différentes pièces spécialisées dans lesquelles ils peuvent être, le bruit et les lumières qu’ils font, les personnels nécessaires à leur fonctionnement, leurs tenues homogènes ou différentes, leur va-et-vient, si les locaux sont ouverts la nuit ou simplement le jour, les résultats d’examens validés dans son bureau par un médecin biologiste concentré et affairé, l’armée d’ordinateurs nécessaires pour mesurer là où les processus de telle ou telle machine en est, la file d’attente des examens qui arrive, les mails qui partent tous seuls dans les services, les équipes qui réalisent des examens visuels sur tout autre type de prélèvement que sanguin, la banque d’accueil avec la photocopieuse et les secrétaires.

Et ainsi de suite.

J’ai pris ce « simple » exemple. Tout ce que je vous décris va se constituer dans mon esprit en quelques fractions de secondes.

Je pourrais donner d’autres exemples, sur la blanchisserie et sa marche en avant, sur les coûteuses et complexes organisations de la psychiatrie extra-hospitalière (je me permets parfois de dire que c’est du titre 1 dans du titre 3, en visualisant la taille du parking et le nombre de véhicules associé). Ce processus m’est très utile car il me permet de mesurer les grandeurs. C’est aussi pour cela que je suis à l’aise avec la construction de chemin clinique, de procédures, de chantiers réglementaires bordés. Les étapes sont successives (en tous les cas dans ma tête) et logiques. La pédagogie en formation a pour but que l’apprenant comprenne et s’approprie les notions. L’image est un très bon outil. Et elle me vient spontanément pour expliquer, à tout moment en tous lieux, tel ou tel point.

Ce trouble inopiné n’est pas cantonné et vaut aussi pour l’organisation entière d’un Colloque comme le nôtre, partis d’une page blanche, les étapes calendaires et stratégiques pour la création d’une entreprise comme Pilar, le réajustement pratico-pratique en quelques heures de nos activités de formation à l’annonce du premier confinement. Je ne suis pas infaillible, mais il n’est rien par exemple que je n’aurais envisagé ou imaginé - Marie peut en témoigner - souvent très vite, de la constitution ex nihilo d’un programme de haut vol aux badges que vous portez ou à la cloche tibétaine choisie pour annoncer la fin des pauses cafés.

 

Mais revenons à Temple. A la lecture, si je me trouvais des points communs avec elle, je n’avais pas du tout envie de lui ressembler physiquement, sentimentalement ou socialement.

Perplexe et craintive, je recherchais l’existence de tests sur internet. J’en découvre plusieurs, m’assure que ceux que je vais réaliser ont un fondement scientifique, clinique et surtout validé. Je réalise l’Aspie Quiz en juin 2023. Les réponses aux dizaines de questions posées penchent pour une confirmation et un sobre « Vous semblez présenter des traits à la fois Aspie et neurotypiques ».

Le doute est sérieusement installé, mais je souhaite une évaluation sérieuse, m’entretiens avec un ami médecin généraliste qui me connais bien. Je prends contact avec le Centre de Ressources Autisme de Nouvelle-Aquitaine. Les adultes socialement insérés n’y ont pas la côte, longue file d’attente oblige… La procédure à suivre consiste à réaliser mon évaluation en ville. Je cherche sur Doctolib. Je souhaite un spécialiste reconnu. Il existe, à Biarritz, à 140 kilomètres de mon domicile. Je ferai l’aller/retour plusieurs fois pour de nombreuses évaluations, tests et entretiens.

 

1b. Qu’est-ce que l’autisme ?

Si le cancer, la schizophrénie, la peste ou la variole sont connus depuis l’Antiquité, l’autisme fait partie des affections qui ne sont décrites que depuis quelques dizaines d’années seulement. Ce n’est qu’en 1944 avec Hans Asperger qu’il a été pour la première fois décrit. Il faut certainement voir dans cette mise au jour récente un sous-diagnostic probable, en particulier chez les adultes et chez les femmes. Les biais de genre sont manifestes et ne tiennent pas encore assez compte des spécificités de l’autisme chez les femmes, sans doute plus camouflées, labiles et invisibles que les hommes. La culture populaire et les grands noms contribuent encore à une espèce de caricature de ce trouble du neurodéveloppement.

Qui n’a pas vu Rain Man et son handicap si lourd qu’il ne peut pas, de fait, me ressembler ?

L’autisme pourrait concerner environ une naissance sur 150. En France, 600 000 adultes et 100 000 enfants sont recensés.

 

Trois grands piliers qui se cumulent caractérisent l’autisme :

·        Des difficultés dans la communication sociale

·        Des caractères restreints et répétitifs dans les intérêts et dans les comportements

·        Des perceptions sensorielles aiguisées ou altérées

 

Si l’expression de l’autisme diffère d’un individu à l’autre (c’est pour cela que l’on va parler de Troubles du Spectre Autistique, abrégés en TSA), quelques fausses croyances sont à corriger. Ainsi, il est faux de croire que l’autiste manque d’empathie, d’humour, a du mal à parler, qu’il se balance ou qu’il a un regard fixe ou fuyant. Un autiste peut apprendre à plus ou moins camoufler cela, au prix d’une énergie constante et folle.

Il n’y a pas de petite ou de grande gageure à ce niveau-là : je suis personnellement submergée de sensations, de stimuli, d’incertitude, de stress quand je suis non pas face à vous mais dans une gare, face au buffet du petit-déjeuner d’un hôtel que je ne connais pas, quand Teams bugge ou que l’on me parle fort ou puissamment. Ca me paralyse et me demande une très grande mobilisation intérieure et donc invisible. Je pensais jusqu’à mon diagnostic que c’était le cas pour tout le monde et ne m’en étonnais donc pas.

A chaque instant de confrontation avec l’extérieur ou les autres, chaque autiste doit fournir un effort d’adaptation, jusqu’à l’épuisement. C’est à ce moment que peut survenir la crise. On l’appelle parfois shut down ou burn out autistique. Surchargé émotionnellement, sensoriellement, socialement, l’autiste va être écrasé par un état de fatigue extrême et une perte complète ou totale de tous ses moyens. En avant les cris, la prostration, l’aphasie ou le retrait pur et simple.

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1c. Caractéristiques de mon autisme

Pour ma part, le diagnostic m’a apporté une grande avancée dans la compréhension de mon fonctionnement. Parce que je ne vous l’ai pas encore dit : je traverse depuis l’adolescence des moments de pulsions suicidaires. Quatre en 2023. Un record personnel épuisant. Ces moments terribles me mettent toujours sur la paille, avec une incompréhension certaine : mais pourquoi deux ou trois jours après, je suis comme si de rien n’était, alors que des heures sombres durant, lestée de semelles de plomb, je ne vois qu’une issue à un mal être incommensurable : me jeter par la fenêtre ?

Le diagnostic d’autisme, pour dur qu’il soit, me donne enfin mon mode d’emploi : ce n’était donc pas de la dépression. Ce point est en soi un extrême soulagement. Je sais désormais anticiper les moments terribles. La sieste, l’obscurité, le silence me sauvent littéralement la vie. C’est à peine croyable. Je suis une autre personne après ce repos qui peut ne durer qu’une simple demi-heure.

Mon autisme se traduit par une hypersensibilité notamment auditive (j’entends, perçois et retiens tous les bruits, toutes les couches de sons, et dans notre monde moderne, ils sont omniprésents voire stridents). Elle concerne aussi mon toucher. Cela se traduit pour ma part par une très grande frilosité qui aboutit à une difficulté à être et travailler en-dessous de 21 degrés. J’ai mes parades et me drape dans de multiples couches. La sensibilité est aussi visuelle, même si cela n’a rien à voir avec l’acuité visuelle, puisque je suis malvoyante. Je remarque et détecte tous les détails, jusqu’à l’espace en double entre deux mots dans un mail de plusieurs paragraphes. Si vous chercher sur Youtube, vous trouverez sans doute en matière d’autisme un jeune artiste qui dessine avec un sens du détail affolant des villes qu’il parcourt en hélicoptère. Un seul tour rapide suffit. On le surnomme « l’homme caméra ». Sa vie doit être un enfer. Vous imaginez, voir et garder en mémoire tous les détails des lieux, des paysages et des bâtiments ? Comment se reposer et être libre avec çà ?

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La France n’est pas encore l’un des meilleurs pays pour l’insertion des autistes adultes. D’autres sont plus inclusifs, ou pragmatiques. Ainsi, l'armée israélienne (Tsahal) a des programmes spéciaux pour intégrer les personnes autistes. L'un des plus connus est le programme "Roim Rachok" (en hébreu, "voir loin"), qui permet aux jeunes autistes de servir dans des unités spécialisées, notamment dans le renseignement et la cybersécurité. Ce programme tire parti des capacités exceptionnelles d'observation et d'analyse de certains autistes, en échange de leur contribution à la défense nationale dans un cadre structuré et inclusif. Si l’on peut faire cela pour l’institution militaire, imaginez ce que les spécificités autistiques peuvent faire dans un service hospitalier fait de chiffres et de précision.

Je vais déconstruire l’axiome selon lequel nous avons cinq sens. L’autisme montre qu’il y en a au moins deux de plus : la proprioception et l'interoception. La première est le sens de la position et du mouvement de son propre corps, la deuxième est le sens de l'état interne du corps. Chez l’autiste, ces deux sens sont altérés et différents et peuvent se traduire par des difficultés de coordination ou dans certaines tâches motrices d’un côté, une dérégulation des émotions et des besoins tels que la faim, la soif ou la réponse à la douleur.  C’est encore invisible mais pour ma part et pour ces motifs, mon médecin m’a prescrit une prise en charge en psychomotricité (je me cogne régulièrement par exemple) et de la rééducation oculomotrice. Je comprends mieux ma hantise des escaliers, notamment en descente. Or, des escaliers, il y en a des dizaines à l’hôpital et j’ai une peur bleue de tomber et d’avoir mal.

Côté intérêt limité et envahissant, ceci n’est pas une expression romantique, je peux me dédier corps et âme à certains sujets. Le contrôle de gestion hospitalier en fait partie, et depuis plus de trente ans, je poursuis mes recherches et peux en discourir avec passion parfois de façon inadaptée, mes interlocuteurs barbés ayant d’autres chats à fouetter. Alors je me tais. Cela fait longtemps que j’ai compris que je ne pouvais pas tout dire. Mon monde intérieur n’est pas le vôtre et il est très vaste. Je vous laisse imaginer combien les réunions qui durent et où je ne pourrais dire toutes mes pensées me font paraitre désinvolte, énervée ou absente.

Ma vie est depuis toujours rythmée par ce fonctionnement :

Je lis une quarantaine de livres par an.

Je me suis mise au dessin au printemps 2023 (j’en ai réalisé près de 200, chiffre qui montre aussi que je compte, tout le temps, quand je marche, quand je cuisine, quand je prépare un projet).

J’ai écrit un roman de cinq cent pages. Si j’ai fait des recherches, je n’ai eu aucune difficulté à construire une entière fiction, laissant librement fonctionner mon imagination et ma mémoire. Numéros deux, trois et quatre sont déjà dans ma tête et j’ai déjà travaillé sur leur couverture à l’aquarelle.

Je parle français, anglais, espagnol, je comprends l’italien, je sais lire l’allemand, je viens de commencer l’apprentissage de l’arabe. J’aime beaucoup. C’est logique, me rend libre et me transporte dans mon monde calme et exubérant.

La musique est l’une de mes passions profondes et je sais immédiatement, dès les premières notes, si je vais mémoriser ou non le morceau. Je chercherai ensuite l’auteur, le contexte, les autres œuvres.

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En littérature, on appelle la façon dont je viens d’écrire une figure de style, en l’occurrence un effet d’accumulation. Je l’ai choisi pour exprimer l’invraisemblable quantité de choses que je peux absorber et chercher quand je me passionne. Je pensais que la plupart des gens fonctionnaient comme moi. Je comprends mieux parfois mon isolement, mon incompréhension des comportements ipso facto différents du mien, mes saillies inadaptées ou la difficulté à me faire comprendre.

Ceci explique pourquoi au milieu des années quatre-vingt, j’ai fait partie de ces gens qui ont immédiatement et massivement utilisé internet : quelle joie ce monde de connaissances sans fin ! Mon nouveau jouet s’appelle chatGPT, pour les mêmes motifs, la créativité en plus.

Je suis très organisée, j’ai quelques rituels profonds, ce qui a été un critère majeur de la pérennité de Pilar et ma capacité exorbitante de travail. Je programme, je fais des listes sur Excel, j’ai élaboré un cahier des procédures qui a été salué lors de notre certification Qualiopi, j’ai développé tous les outils de gestion de Pilar à partant de zéro. Mais c’est aussi bloquant : préparer ma valise et organiser des déplacements me demandent une très grande énergie, ayant besoin que tout soit là à la même place. C’est ridicule, mais cela peut extrêmement me contrarier et m’obnubiler. Ma hantise est de ne pas avoir ma correspondance dans les trains ou en avion.

 

Si j’hyperintellectualise et approfondis bien des choses, je suis d’un autre côté incapable de manager. Ce sera le grand drame de ma vie professionnelle. L’autisme a pour spécificité de ne pas savoir capter les nuances interpersonnelles. Très premier degré, je suis incapable de détecter la malice ou la malveillance. Les sujets de grande trivialité, comme la météo, les potins ou les bavardages, ne m’intéressent pas et me font fuir. Or, ces moments sont nécessaires pour faire la société, comme on dit en créole. Je comprends mieux mes difficultés à intervenir en formation initiale auprès de jeunes gens pas vraiment incités à l’étude.

 

Ceci a malheureusement une autre forme : une femme sur trois serait victime en France de violences sexuelles. Ce chiffre bondit à 9 sur 10 chez les femmes autistes. Je ne fais pas exception, et les deux agressions destructrices que j’ai subies en 1990 et 1997 sont survenues en milieu d’études ou de travail. Une autre que moi aurait peut-être perçu ou compris que des comportements étaient inadaptés ou dangereux.

 

2)   Quels sont les principes de fonctionnement en tant que contrôleur de gestion

 

2a. Principaux mécanismes

Les principaux mécanismes de pensée d’un autiste contrôleur de gestion reposent sur :

La visualisation et le séquençage : la pensée se perçoit en image et moins en mots, et elle progresse par bond logique, d’un sujet ou d’un contexte à un autre

Côté négatif, cela signifie que tout terme est immédiatement représenté. Cela renforce le côté « premier degré » décrivant les autistes. Par exemple, quand Susanna, la petite amie du frère de Rain Man l’embrasse dans l’ascenseur d’un Casino de Last Vegas, elle rit de sa réaction, puisqu’il a trouvé cela « mouillé ».

Il m’est par exemple très difficile d’entendre que des chiffres « explosent », que les urgences débordent… ou les injures qui sont pour la plupart imagées et connotées.

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La mémoire : je me souviens de la plupart des dossiers et études que j’ai réalisées, de leur cheminement, de leur résultat, de leur contexte, d’autant plus si l’ensemble a été rédigé et écrit, ce qui est un mode de fonctionnement réconfortant et meilleur que l’oralité pour moi.

La répétition : la répétition, des tâches, des procédures, des opérations, a quelque chose de réconfortant. C’est idéal pour les tableaux de bord et chantiers annuels. J’aime à réaliser le RTC par exemple, chaque année et pour plusieurs clients.

Les chiffres : j’ai toujours compté. Les chiffres sont des compagnons quotidiens, pour quoi que ce soit. Leur logique a quelque chose de créatif et rassurant.

La logique et la sensibilité clôturent le ban.

 

2b. Corollaires

Il y a des corollaires logiques et très utiles pour aider à piloter ou faire du contrôle de gestion. Il s’agit de la curiosité, du plaisir de chercher à comprendre (même quand le sujet ou la situation est très complexe), l’association : pour moi, il n’y a pas de cloison. Tout est lié et il n’y a pas de différences entre les thèmes, les univers

 

3)   Conséquences

 

Les points suivants sont à la fois un mode opératoire et des principes de conduite pour le contrôleur de gestion, à savoir la justesse, la ‘factualité’, l’imagination, la suffisance (être seule me va très très bien et je n’ai pas besoin de relations sociales), le premier degré (dont le respect des échéances fait partie et dont tout changement me déstabilise ou me rend les situations incompréhensibles).

Citons comme autre conséquence, l’inconfort sensoriel, la peur, des besoins irréfragables comme le calme, un environnement non violent et sécurité, la difficulté à comprendre les nuances et à détecter la malice ou la malveillance, le désintérêt pour les relations « triviales » et certaines pensées des autres.

 

4)   Recommandations

 

4a. Les intérêts / difficultés avec un contrôleur de gestion autiste

D’un point de vue managérial, il est important d’être clair et précis, d’expliquer les différences avec les autres, d’accompagner et sécuriser les aspects relationnels, mais aussi de confier des projets porteurs de doutes pour les autres à un autiste puisqu’il l’abordera avec rationalité et moins d’affect.

D’un point de vue métier : il peut être très intéressant de privilégier les chantiers récurrents, approfondis, complexes, appuyer sur les capacités organisationnelles et d’anticipation, sachant qu’à l’inverse d’autres professionnels, ils ne suscitent jamais l’ennui pour l’autiste.

 

4b. Les aspects très pratiques à soigner

·        Le calme

·        La température, le bruit, la lumière

·        La prévisibilité

·        La fatigue

·        Les termes et les mots

·        La sécurité et la protection

 

4c. La sensibilisation auprès des autres

L’entourage et l’encadrement professionnel de l’autiste veillera à constituer un « amortisseur relationnel », par exemple en accompagnant les moments sociaux ou en arrondissant les angles.

Le réconfort de la contention pourra passer par un isolement physique, notamment par des cloisons dans les bureaux et les espaces.

Accepter le balancement (sur sa chaise, debout) ou les gestes répétitifs, qui apaisent grandement l’autiste.

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J’ai été longue. Je me rends compte que je dois expliquer mon univers intérieur qui n’est pas le même que le vôtre.

 

Je voudrais terminer ses points par quelques messages plus personnels. L’annonce tardive de mon handicap pourrait laisser à penser que cela ne va rien changer à ma vie, puisque je compose sans le savoir depuis toujours. Beaucoup de points ont évolué pourtant. Une partie de ma famille a implosé. Je gagne à la fois en compréhension et en comportement libéré du poids du contrôle mais désormais sous le jour crû de la norme.

 

Dans ce parcours, je voudrais publiquement remercier Philippe mon époux, Marie et Julie, mes filles. Gaëlle qui m’a convaincue d’en parler aujourd’hui, Marie-Claude ma sœur et sa famille. Le Docteur Laurent Turi, Michel, Dorothée, Boualem, Guillaume, Patxi, Nathalie Minne, Julie et sa Librairie La Rêverie, Madame Stéphanie Gasparotto-Auret, la compagnie Air France (réellement) qui, même de loin, même ponctuellement, m’ont apporté un soutien important.

 

 

Ma conclusion reprendra cette citation de Temple Grandin : le monde a besoin de tous les types d’esprits.